Les premiers investissements

En août 1998, Page et Brin achètent un stock de disques durs pour la modique somme de 15 000 dollars. Ils entassent le tout dans la chambre universitaire de Page dans le but d’y stocker une bonne partie du web.

Mais ces deux étudiants ont besoin de fonds supplémentaires pour agrandir leur parc informatique. Ils pourraient, évidemment, recourir à des publicités affichées sur le site, mais ils sont tous les deux contre cette approche. Ils se font aider tout d’abord par leurs familles et amis mais très vite, ces aides ne suffisent plus. Heureusement, un de leur professeur, David Cheriton, leur présente Andy Bechtolsheim, un des cofondateurs de Sun, qui a gagné la somme de 250 millions de dollars en vendant une start-up. Après une démonstration d’une grosse demi-heure, Bechtolsheim est séduit et signe un chèque de 100 000 dollars. « Le problème c’est qu’il avait fait le chèque à l’ordre de Google Inc. Pour l’encaisser, nous avons dû créer effectivement l’entreprise ! », racontera Larry Page . Google Inc. est alors créé le 7 septembre 1998. En même temps, les deux compères trouvent un garage à louer dans la Silicon Valley, chez une certaine Susan Wojcicki. Le temps de câbler les lieux, d’installer les lignes de téléphone, la société voit le jour…

Quelques temps après, David Cheriton, le professeur qui leur avait présenté Bechtolsheim, apporte à son tour la somme de 100 000 dollars. Ce qui permet aux étudiants d’augmenter leur infrastructure informatique mais aussi de s’entourer de quelques collaborateurs. Fin 1998, un business angel , l’Indien Ram Shriram, apporte une somme non dévoilée mais évaluée à 200 000 dollars. Ce dernier fait plus qu’apporter un financement, il consacre aussi un jour par semaine aux étudiants pendant lequel il les conseille. Parmi ses recommandations figure la création de petites équipes afin de rester innovant et productif. Cette organisation est toujours utilisée par Google actuellement.

Après une première distinction dans le mensuel PC Magazine ainsi qu’un trafic de plus en plus important, Page et Brin sentent l’urgence d’exploiter le PageRank sur un parc informatique encore plus important. Mais pour passer à la vitesse supérieure, il faut séduire les investisseurs. Grâce à Shriram, ils sont mis en contact avec deux sociétés majeures dans le domaine du capital-risque : Kleiner Perkins Caufields & Byers et Sequoia Capital. La logique voudrait que les deux sociétés se battent pour obtenir l’essentiel des parts de Google. Pourtant - naïveté ou savant calcul ? -, Page et Brin ne désespèrent pas de travailler avec les deux fonds d’investissement. John Doerr, président de Kleiner Perkins, et Michael Moritz, de Sequoia Capital, campent tous deux sur leur position et veulent l’exclusivité. Malgré l’acharnement des deux conseillers financiers de Google, Shriram et Conway, Doerr et Moritz paraissent aussi inflexibles que les deux fondateurs de Google.

      Au bout d’un mois, Page téléphone à Conway pour lui dire qui si dans quelques jours rien n’a changé, Brin et lui laissent tomber ces deux investisseurs. L’information circule rapidement et, dès le samedi suivant, on les informe que Doerr et Moritz investissent à 50/50 ! Grâce à ces financements, Google se développe rapidement et, en septembre 1999, Google est officiellement en ligne.


Interview à 01Net, 8 avril 2002

Business Angel : Investisseur particulier plaçant directement son capital dans une société non cotée.

Des moyens de rémunération hors du commun : AdWord et AdSense

Il leur faut maintenant vendre leur technologie. Après de nombreux contacts, ils ne parviennent à toucher que deux clients : Netscape et Red Hat, une société spécialisée dans la diffusion de Linux. Peu importe, la société accueille de plus en plus de visiteurs et compte déjà une soixantaine d’employés, principalement composée d’ingénieurs, mais aussi d’un service commercial chargé de vendre la technologie Google.

            Cependant, les deux investisseurs principaux, Doerr et Moritz, ont des exigences de rentabilité et Google ne peut continuer avec ses revenus actuels : 8 à 10 dollars par millier de requêtes. Page et Brin l’ont bien compris, mais ils sont contre les publicités intrusives gênant la navigation. Ils cherchent donc à concilier la demande de l’utilisateur et la nécessité d’engranger des dollars pour rémunérer les ingénieurs de Google. L’astuce consiste à créer des annonces à la fois efficaces et discrètes. La publicité pourrait alors apparaître comme une information complémentaire : si le visiteur entre le mot clé « appartement Bruxelles », il n’aura rien à redire s’il reçoit des annonces sur la location d’appartement à Bruxelles.

            La société Overture a mis en place pour la première fois ce système : elle vendait des mots clés aux enchères. Ce système fonctionne de manière classique : plus une société donne de l’argent, meilleure sera sa position. 

            Page et Brin développent un programme similaire : AdWord. Mais, après avoir testé la formule, ils réalisent qu’elle ne correspond pas parfaitement à la philosophie de la boite. Page et Brin se soucient en premier lieu de la qualité des résultats pour l’internaute. Or, avec AdWord, ces résultats pourraient être de moins bonne qualité pour deux raisons. Tout d’abord, le visiteur pourrait être dupé : un site traitant de la vie des poissons d’Outre-Atlantique pourrait acheter le mot clé « sexe » pour attirer un maximum de visiteurs. Ensuite, la qualité du premier lien : lorsqu’un internaute recherche le terme « cancer », vaut-il mieux afficher en premier le site qui a le plus payé ou celui qui a les meilleures informations ? Page et Brin valorisent la deuxième approche.

            Pour résoudre ces problèmes, ils ont l’idée de réutiliser une partie du PageRank : pour classer les annonces publicitaires, ils prendront en compte le coût de l’annonce, mais aussi la popularité de la page. Une page ayant un PageRank plus élevé sera peut-être mieux classée qu’une autre en déboursant moins ! Initialement, les liens sponsorisés sont placés en haut de page, mais les cadres de Google perçoivent rapidement la faille : le visiteur risque de faire l’amalgame avec AltaVista (qui, comme je l’ai expliqué dans le chapitre 2, faisait payer sa première place des résultats). Ils optent alors pour l’affichage des liens sponsorisés sur la droite de la page. Les tests sont favorables et, rapidement, ce système d’enchère est mis en place. Il séduira des annonceurs de toute taille, depuis Amazon et eBay jusqu’aux particuliers.

            Baptisée AdWord, cette technologie représente le deuxième coup de maitre de Google. A elle seule, elle va faire l’essentiel de la fortune de l’entreprise. Il me faut quand même expliquer en quoi ce système est une véritable mine d’or, bien plus que le système Overture. Imaginons la société « Plaisirs Dordogne » qui vend du foie gras, elle pourrait acheter un mot clé comme « foie gras ». Afin d’avoir de bonnes chances d’apparaître en première position, il faudrait qu’elle débourse plus que les autres annonceurs : 1€ là où les autres n’offrent que 0.50€. Or, Google ne garantit aucunement à « Plaisirs Dordogne » d’être affiché au sommet ! Google, comme je l’ai dit, prend aussi en compte la popularité : c’est, par conséquent, le site le plus populaire qui sera affiché en premier. Imaginons maintenant l’entreprise « Saveurs Périgord » qui vend elle aussi du foie gras, qui achète aussi le mot clé « foie gras » mais qui accueille 1500 visiteurs par jour alors que « Plaisirs Dordogne » en reçoit 1200. « Saveurs Périgord » se retrouvera devant « Plaisirs Dordogne ». Regardez plutôt :

  1. 1200 clics facturés à 2€ pour « Plaisirs Dordogne » : 2400€ de revenus pour Google ;
  2. 1500 clics facturés à 1.90€ pour « Saveurs Périgord » : 2850€ de revenus.

 

Mais ce n’est pas tout ! Page et Brin vont rapidement imaginer le troisième étage qui manquait à la fusée Google. Après avoir diffusé les AdWord sur plusieurs sites partenaires comme Earthlink, AOL et Ask Jeeves, Google propose à n’importe quel webmestre , après inscription gratuite, d’afficher les annonces AdWord sur son site internet et d’être rémunéré. Ce programme remporte un énorme succès d’une part car ce sont des annonces ciblées, mais surtout car il est très rémunérateur, même pour un sous-traitant comme le webmestre. J’ai eu l’occasion de tester ce système et les rémunérations peuvent aller jusqu’à plusieurs dollars par clic !

L’année 2002 se termine en beauté pour Google qui revendique 440 millions de dollars de revenus et 100 millions de bénéfice ! Il est à noter que le titre Google avoisine les 500 dollars actuellement.


Webmestre : personne responsable d’un site internet (qui le crée ou le gère)

L'adaptation de Google

Page et Brin, bien que brillants et supérieurement intelligents, ont fréquemment inquiété les investisseurs, notamment Doerr et Moritz, les deux plus importants. Ils ont de beaux idéaux, adoptent la zen attitude, ils ont aussi leurs principes qu’ils respectent, quoi qu’il en soit. S’ils avaient vécu dans les années 70, ils auraient sans nul doute adopté le look hippie. C’est leur manque de réalité qui a fait frissonner plus d’une fois les membres du conseil d’administration de Google. Lorsqu’il a fallu faire prendre conscience aux deux énergumènes que leur société avait besoin d’engranger des bénéfices, Doerr et Moritz ont bataillé ferme pour le leur faire comprendre.

Ces deux étudiants ont également un principe très important à leurs yeux (c’est, notamment grâce à ce principe que Doerr et Moritz ont investi à 50/50), ils veulent rester maitres de leur société et ne pas pouvoir être écarté de la direction. C’est pour cette raison qu’il a fallu du temps pour qu’ils acceptent d’accueillir un PDG, comme leur proposaient leurs deux investisseurs.

Eric E. Schmidt apparait pourtant comme le candidat idéal. C’est un homme intelligent, apte à comprendre qu’une jeune société puisse avoir sa propre culture. Cet ingénieur de 45 ans se trouve à la tête de Novell, une société de logiciels pour réseaux. Ce n’est qu’après quelques mois et une rencontre assez mouvementée où les deux fondateurs ne cessent de le titiller que Schmidt rejoint Google, début 2001. Il prend d’abord le temps de bien comprendre la société et la philosophie de ses deux créateurs. Schmidt, en tant que responsable de la santé financière, a parfois fort à faire lorsqu’il s’agit de rendre compatibles les idées folles de Page et Brin avec la réalité.

Conscient de la situation, Doerr va faire appel à Bill Campbell, un conseiller externe. Il va se rendre régulièrement au Googleplex afin de discuter avec Page, Brin et Schmidt. Il va notamment apprendre à ce dernier comment gérer efficacement cette jeune société, qui diffère totalement de Novell. Campbell va passer aussi beaucoup de temps avec Page et Brin à leur expliquer la différence entre une entreprise « cool » et une entreprise intelligente. Will Hearst, un des associés de John Doerr, dira plus tard que Campbell a sauvé Google .


GQ, Journey to the Revolutionnary Center of Google.

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